• présentation de l'oeuvre "Trovu sempre amo strada inde a machia" par Pierrette Mari

     

    Analyse de Pierrette Mari

    parue dans la revue « L’Education Musicale » (1990)

     

    A propos de l’œuvres pour 6 clarinettes enregistrée sur CD REM par le Sextuor de clarinettes de Paris.

     

     

     

     

     

    Lorsqu’on connait Jean-Louis Petit et que depuis plusieurs années, l’on suit le parcours de ses multiples activités, on ne sait trop par laquelle il convient de commencer pour parler de lui.

     

     Musicien complet, Jean-Louis Petit s’est très vite orienté vers la direction d’orchestre après avoir accompli de solides études (orgue, clavecin, harmonie, contrepoint, composition). Ses maîtres seront Simone Plé, Olivier Messiaen, Louis Auriacombe, Igor Markevitch, Franco Ferrara, Pierre Boulez.

     

     Il se consacre d’abord à la musique française inédite du XVIIIème siècle et ses premiers enregistrements révèlent un chef dont le talent et la parfaite maîtrise de son art lui vaudront de nombreuses invitations à diriger tant en France qu’à l’étranger. En 1958 , il fonde son propre orchestre de chambre et, quelques années plus tard, « L’Atelier Musique de Ville d’Avray », ville dont il est de directeur du Conservatoire National depuis 1972. Lauréat du Concours Dimitri Mitropoulos de New York, il poursuit simultanément sa carrière de chef d’orchestre et de pédagogue à laquelle s’ajoutent la charge de Directeur du Festival Estival de Paris (de 1972 à 1977) et celle du Forum de la création des Hauts de Seine. Loin de redouter la multiplicité de ses nombreuses activités qu’il considère comme complémentaires, il ne cesse en outre de composer. En consultant son catalogue, on mesure la puissance d’un travail considérable qu’il déploie avec le même sérieux, le même équilibre et une même logique dans la démarche.

     

     Parmi les compositeurs de sa génération, il en est peu qui aient résisté à l’appel des excentricités relevant souvent d’expériences stériles. Jean-Louis Petit a su cultiver l’originalité de son langage en s’exprimant avec sincérité plutôt que de suivre les impératifs d’un mouvement « dans le vent ». Et si l’on peut, comme pour tout créateur, définir à partir e ses premières œuvres, les étapes de son évolution, il transparaît une ligne constante de ses préoccupations et de sa conception en matière d’esthétique.

     

     

     L’ATELIER MUSIQUE DE VILLE D’AVRAY

     

     

     

    En créant cet Atelier Jean-Louis Petit a accompli un travail colossal pour initier des publics très variés à la musique d’aujourd’hui. Il a suscité chez les jeunes auditeurs de la curiosité, de l’enthousiasme qui, en retour, ont dynamisé sa démarche. Ayant fait appel à de nombreux compositeurs – français et étrangers – il n’a exigé d’eux que des critères de qualité et d’authenticité sans se préoccuper des tendances auxquelles elles se rattachaient ? Grâce à son souci d’éclectisme, il a réussi à abolir le cloisonnement entre des partitions extrêmement différentes et tendant des passerelles entre des musiques ‘exprimant dans un langage traditionnel et d’autres, plus complexes. On lui doit aussi d’avoir su interpréter les partitions qui lui étaient confiées en les appréhendant comme des œuvres dont les caractéristiques doivent faire vibrer notre sensibilité en révélant des horizons nouveaux d’espace sonore. Il résulte de cette prise de position des programmes ouvrant un vaste éventail à des styles les plus divers.

     

    La réussite durable de cet Atelier permet de constater la valeur de ce pluralisme dans une époque vouée trop souvent à la spécialisation. Si l’on rejetait une fois pour toutes les querelles autour des chapelles « d’avant garde », terme qui, paradoxalement renferme deux notions difficilement compatibles : celle expérimentale (qui appartient déjà à un passé révolu) et elle qui, refusant tout nouvel académisme, traduit un nouveau modernisme, on parviendrait à espérer pour cette fin de siècle une grande ouverture qui abolirait tout sectarisme en ne retenant que des valeurs artistiques authentiques. C’est ce que « l’Atelier de Ville d’Avray »  est parvenu à obtenir et cela garantit sa pérennité.

     

     Avant d’en venir à commenter la partition que nous vous proposons, il faut la situer dans cet axe de création inspirée par la Nature, et plus précisément par cette terre de Corse qui nous est chère.

     

     

     

    TROVU SEMPRE A MO STRADA INDE A MACHIA

     

     L’œuvre, composée en 1980, porte le titre évocateur « Je trouve toujours mon chemin dans le maquis ».

     

     La conception et l’orientation très personnelles de la pensée de Jean-Louis Petit, influencée par de savantes recherches d’ordre aussi bien esthétique qu’instrumental, forge un langage qui fait pénétrer dans un espace harmonique des plus originaux. « Des traits linéaires s’enchaînent et agencent des figures mobiles dans un rythme malléable qui sollicite l’extrême précision du jeu et trouve son homogénéité dans la maîtrise de la pensée polyphonique ».

     

     Il est délicat de définir le style d’une partition qui demeure à la première écoute sinon énigmatique, du moins mystérieuse. Jean-Louis Petit base, depuis plus de vingt ans, son travail de composition sur des modes mélodiques à douze sons qui ne sont pas choisis au hasard mais qui sont issus de deux contraintes qui leur donnent une personnalité  très forte : la série qu’ils forment est non rétrogradable, et les intervalles qui les séparent sont tous différents (voir le schéma de son principe d’écriture).

     

     Démarche qui se rapproche de celle de l’Ecole de Vienne sans toutefois se soumettre au parti pris de l’adoption inconditionnelle du système dodécaphonique, et qui renvoie aussi aux recherches modales de Messiaen. Dans un esprit de parfaite indépendance, Jean-Louis Petit s’exprime naturellement à travers ces deux contraintes qu’il s’efforce souvent de rattacher à des sonorités connues. Aucun dogmatisme ne préside donc à l’élaboration de ses œuvres : les impératifs d’aucun système ni d’aucun dogme ne viennent heurter la conduite de son travail.

     

     Cette œuvre écrite pour six clarinettes – en si bémol – n’est pas construite sur une forme préétabli selon les critères des structures traditionnelles, elle se présente comme une fresque en mosaïque dont chaque élément s’intègre et s’enchevêtre dans des phrases pleines de relief. La forme et le mode de développement obéissent à une évolution du temps musical. Malgré l’absence de thème à proprement parler, le principe de la variation est appliqué avec de nombreux procédés contrapunctiques (mouvements contraires, mouvements rétrogrades, entrées canoniques). L’accentuation constitue un élément primorial dans les attaques. L’imprécision rythmique émane de fréquents changements de mesure qui entrtiennent une dynamique de vitalité et de mouvance.

     

     Mélodiquement, l’emploi du chromatisme notamment celui du chromatisme retourné, colore certains passages de teintes bartokiennes. L’éloquence des méandres ne fait que rendre plus expressif celle des silences qui les entrecoupent.

     

     

     

    (1)L’écriture très conjointe dès ce qui se présente comme une introduction, élargit progressivement ses intervalles et devient de plus en plus disjointe (p.9). Par d’heureuses combinaisons s’amorce, dans une sonorité d’orgue, un mouvement descendant (p.13). Une cellule de trois notes (différentes à chaque instrument) se répète « a libitum », en faisant l’objet d’un court intermède et aboutissant à un silence, espace qui crée une aura d’où émerge, pianissimo, de nouvelles cellules qui progressent vers l’aigu (p.14-15). Sur une tenue (mi bémol grave) vont s’enchevêtrer les éléments d’un dialogue entre deux groupes de trois instruments ; le discours s’anime jusqu’à ce que l’ensemble des clarinettes fusionne pour lancer un trait ascendant en triples croches (p.17).

     

     Dans un nouvel épisode s’amalgament des valeurs binaires et ternaires (P.19). L’écriture ne cesse de se diversifier, tantôt plus aérée, elle redevient plus compacte au cours d’une progression qui conduit à un point culminant (P.24) d’où les six instruments redescendent parallèlement. Suit un passage en syncopes offant un autre éclairage avant que les instruments ne se séparent à nouveau en deux groupes (p.26).

     

     Les facettes de cette mosaïque révèlent de constants reflets par des contrastes successifs : passage en valeurs égales – d’abord en croches, puis en doubles croches – interrompu par une longue tenue bientô suivie par un enchevêtrement serré de six parties (p.33). Un passage de grande complexité rythmique (alternance de mesures à 5/16 et 9/16) qui amène la partie conclusive, fait place à une sorte d’épode en valeurs longues. Puis, en un rebondissement, les six clarinettes se lancent dans un ultime jeu contrapointique qui se termine dans la plus grande douceur en donnant une impression atténuée des effets de lumière qui, tout au long de la partition, avaient miroité avec éclat.

     

     

     

    (1     Pour faciliter la lecture de l’oeuvre nous donnons la numérotation des pages de la partition éditée en format de poche : Edition des Maîtres Français.

     

     

     

     

     

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